Une exclamation, puissante, énervé, qui me fit éclater d'un rire enfantin. Joyeusement, je zigzaguais parmi les passants, bien trop occupé à contempler les étales pour s'attarder sur ma petite personne. Une chance. Les cris de désespoir du marchand de pommes s'estompèrent doucement derrière moi. Liberté. Les poches pleines des fruits juteux, je courais. Encore et toujours. À croire que mon existence, pourtant à son balbutiement, se résumait à cette simple action. Mais il le fallait. Pour eux. Pour nous. Parce que si je n'y mettais pas du mien, nous étions tous condamnés. Nos parents étaient soit morts, soit inutiles, plongé dans la drogue ou l'alcool, parfois les deux. Des enfants. Des bébés. Obligés d'user de leurs pauvres moyens pour survivre. Voilà ce que nous étions.
L'arrivée dans la " tanière " était toujours un grand moment. Voir des dizaines de petites bouilles pleines d'espoirs se précipiter vers soi tendant les mains, donnait mal au coeur. Moi, cela m'attendrissait. Ironie. J'aimais la pauvreté. Pour moi, synonyme de liberté. De responsabilités. Car on comptait sur moi. Et je n'étais définitivement pas autorisé à m'enfuir.
Pourtant cela arriva.
Il y eut un homme. Un homme que j'appris à aimer. Un seul. Unique. Que j'ai hais, plus que tout. Que j'ai aimé, à en tué. Ren. Simplement Ren, sans nom de famille. Comme la plupart d'entre nous. Je suis l'exception. Je l'ai toujours été, d'aussi loin que je me souvienne. Différente d'eux, possédant plus de volonté, plus de force, et surtout... Je ne possédais pas le désir de vivre. Un atout. Vivre n'a aucun sens quand on ne sait pas si l'on pourra se réveiller le lendemain.
Ren. Mon premier amour. Ma première victime.
Tout c'était pourtant bien passé. Une soirée comme une autre. Une betise, simple et meurtrière. Je m'étais rendu dans les bois environnant un peu plus tot dans la journée, dans l'espoir fou de trouver des proies. Je n'avais rien trouvé. À la place, j'étais revenu à la tanière des baies plein les poches. Rouges, violettes, bleus. Appétissante.
Deux heures plus tard, plus personnes ne parlaient. Plus personnes ne bougeaient. Morts. Tous. Je fus la seule à être épargné. Chance royale, dû à un mal de ventre un peu trop persistant.
Alors que tous gisaient sans vie, je n'eus des yeux que pour Ren. Le si beau Ren. Qui m'avait accepté si facilement... Mort. Stupidement, en plus de cela. Je ne pleurai pas. Je ne pleurai plus jamais. Je pense... qu'une partie de mon âme est parti avec eux ce soir-là.
Après cela, je développai peu à peu une passion morbide pour les poisons, de toutes sortes. Je fis des recherches. Je devins une professionnelle. Et pour m'amuser... je me fis catin
Un cri.
Gémissement de plaisir et bruissement des draps.
Nos corps teintés de transpiration se crispent dans un souffle. Langoureusement je plante mes ongles dans son dos. Son dos. Lui. Je ne sais plus son nom. Peut-être ne l'ai-je jamais su. Un homme parmi tant d'autres, sans intérêt, sans avenir. Car dès l'instant où ses doigts répugnants ont touché mon corps, son avenir , c'est fait obscur. Triste. Non. Mérité.
Poison. Petite merveille grâce à laquelle les hommes demeurent à mes pieds. Et parfois ne s'en relève pas. Je crois... Non, je suis sur, d'apprécier les voir se tordre de douleurs devant moi, insectes insignifiants dont je me fais un plaisir de réduire la vie pitoyable en cendres. Simplement. Peut-être un peu trop. La mort est une chose si facile. Elle en devient ennuyeuse, si l'on en fait pas attention à entretenir la passion. Innové. Cela a toujours été mon mot d'ordre. Innové et surpris. Car il existe une chose dont je ne me lasserais jamais. L'éclat de surprise dans LEURS regards. Si jouissifs.
Pour cet homme, je m'étais surpassé. Un poison indétectable mélangé à un puissant aphrodisiaque. Mes seins, badigeonnés avec soin, qu'il s'amusait à suçoter serait sa tombe. Intéressant? Oui... Sans doute. Alors, pourquoi suis-je si lasse?
Il fut un temps où je collectionnais la mort des hommes comme des trophées. Époque heureuse. Il me semble. Je ne regrette rien.
Souffrez. Souffrez. Mourez, tous, mais surtout souffrez. Voici ce que je me répète à chaque fois qu'une de ces immondices vient me rendre visite. Souvent. Bien trop souvent. Alors, je chante. Une douce litanie intérieure, promesse de vengeance et de mort. Car pour moi le futur ne peut être que teinté de sang. Du sang rouge. Rose. Vert. Jaune. De multiples couleurs, pour faire rayonner un monde. Celui de cet homme sera bleu. Un bleu pétillant, amusant, rassurant. Peut-être a-t-il une famille, des enfants, un chien. Cette couleur sera pour eux. Je n'essaye pas de me donner contenance, ni de me cacher derrière des idéologies surfaites et vides de sens. J'aime tuer avec beauté. Le poison est beau. Les couleurs sont belles. Point final.
Ses mouvements commencent à se faire lents. Je sens son corps dégoûtant s'affaler de plus en plus sur moi. J'ai envie de crier d’écœurement, de le repousser. Erreur. Je dois attendre que la substance ait suffisamment fait son oeuvre. Ainsi, pas de menaces. La sécurité, si l'on peut dire. Je déteste cette partie-là de mon plaisir. Voir de la bave couler lentement de la bouche encore frémissante de mes victimes me donne envie de vomir...
Voilà. L'homme est raide. Si je prenais le temps de vérifier son pouls, je sentirais encore le petit coeur battre avec l'énergie du désespoir. Inutile. On ne me résiste pas. Jamais. Un coup de pied dans le ventre, et le poids nu me libère, créant malgré moi une sensation de froid. Infini. Ne lui accordant pas un regard, je me soulève lestement afin d'attraper un bout de chiffon. essuyer le poison. Je remets enfin mon soutien-gorge, et je sais que le travail est fini. Un plaisir délicat me traverse. Enfin. L''après'' est toujours le meilleur moment. Je me sens alors puissante. Sans failles. Je soupire. Sentiment illusoire, sans fondement, et qui pourrait bien causer ma perte un jour.
Après avoir dépouillé le cadavre du brave homme de ses biens, j'entreprends de sortir de cette " prison ". Un bordel. Un de plus. Bien que je ne sois pas une habituée, ma présence se fait suffisamment remarquer pour que l'on me reconnaisse.
-Encore un nettoyage à faire, Iza?
Je souris doucement à la vieille femme. Aigrie par les années, mais pas méchant pour un sou.
-S'il vous plaît, Maria...
Elle se contenta de hocher la tête. Pas de questions, pas de remontrances. Ce qui se passait dans les maisons closes, restait dans les maisons closes. Quiconque commettait l'erreur d'oublier cette règle se voyait sévèrement punie. Très sévèrement. J'étais d'ailleurs l'une de celles qui veillaient au bien-être des bordels de ce quartier. Bénévolement. Il s'agissait d'ailleurs de l'une des rares choses que j'acceptais de faire gratuitement.
Le froid de décembre me brûla la peau, toujours nue à de nombreux endroits. Pas un frisson ne secoua mon corps, pourtant gelé. J'avais appris à résister. élevée dans la rue, je devais savoir résister au froid. à la faim; à la maladie. Il y a des choses que l'on apprend à force de blessures, aussi bien physiques que morales. J'ai appris la vie.
Rapidement, mon ombre rassasiée se glissa dans les plis disgracieux des maisons en ruine. Disparaître. Tout simplement.
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LÂCHEZ-MOI CONNARDS!
Crier, se débattre. Hurler. La peur transpirait par tous les pores de ma peau, moi qui me croyais si insensible à ce sentiment. Les mains rudes, rugueuses, me tiraient de tous les côtés, blessant mes bras, mon ventre, mes jambes. Je ne comprenais pas. Qui étaient-ils? Des hommes. Musclés, plus musclés que moi. Nombreux. Pour la première fois depuis longtemps je m'étais retrouvé impuissante. Sans défense. Cela me terrorisait. Ils m'en fermèrent, et je ne pus rien faire. Juste une phrase, qui me glace les os.
-Izayoi Kirigakure, pour meurtres par empoisonnement, vous serez jugés. En attente de votre jugement, vous demeurerez en cellule.
Je haïssais ce sentiment. Oppression. Solitude. Emprisonnement. Je n'avais pas vu le coup venir. K.O . Vraiment pathétique. À mon réveil, rien d'autre que le noir. Le noir et le silence, horripilant, me défiant de le briser. Ce que je fis. Mes hurlements tranchèrent l'air aussi efficacement qu'une lame de fer. Vainement. Je ne sus combien de temps j'attendis. Dix minutes, une heure, un mois? Alors que je commençais à perdre espoir, alors que la folie causée par mon isolement glissait insidieusement vers moi, la porte s'ouvrit. Aveuglante lumière. Si bienvenue. Je ne pus m'empêcher de sourire. Comme une idiote.
Je l'étais, idiote. Sinon je n'aurais jamais accepté le marché qui allait suivre.
Mais...
Avais-je vraiment le choix?
non. Évidemment que non.
Idiote.
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-Bonjour, Izayoi! Je me nomme Tamaki! Ta ta ta... Te voici dans une bien mauvaise situation... Je peux t'aider. Le veut- tu... Iza?
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Un an. Un an depuis la décision qui scella ma vie. Irrémédiablement. Étrangement, je ne regrettais pas. Ma vie actuelle valait ce mon passé, largement. Mais... je ne pouvais plus utiliser mes poisons à ma convenance. Certes, j'en créais toujours. Mais désormais ils atterrissaient dans les mains souillées de Tamaki, et Dieu seul sait ce qu'il en faisait.
Mon pied heurta un caillou. Je paraissais tranquillement en face du lycée de ma future cible. Une jeune fille répondant au doux nom d'Hana. Si jeune. Sans aucune conscience de sa vraie nature. Une de plus.
La jeune fille finit par se montrer. Cheveux courts, allure innocente. Si fragile. Monstrueuse.
Sans émotions superflues, mes pas me guidèrent en avant de siens, prévoyant avec une redoutable efficacité les directions que la jeune Hana pourrait prendre. En voyant les entrepôts désaffectés au loin, une idée germa dans mon esprit.
Je courus. Pas assez longtemps pour me fatiguer, au grand dam de ma future victime. La jeune fille que j'avais enlevée quelques jours auparavant en prévision de ce moment leva un regard terrifié dans ma direction. Pauvre petite chose. Je coupai ses liens. Je ne fis pas attention à ses yeux plein d'espoir.
Portant la fille sur mon dos tant bien que mal, je finis par arriver à destination. Leurs territoires. Sans autres formes de procès, la lycéenne fut jetée dans la fosse aux lions.
Il me fallut encore quelques minutes et une ou deux feintes pour m'assurer qu'Hana tombe sur le groupe. Pour qu'une jeune fille pure soit salie par le sang. Une de plus.
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Quelques mois plus tard, une jeune fille aux courts cheveux verts passa les portes de Deadman Wonderland. Seule. Effondré. Non loin de là, Izayoi Kirigakure remettait en place sous soutien-gorge, ôtant la bourse qu'elle venait de donner à cet homme. L'homme du gang de Jem qui avait vendu Hana à la prison. Un homme désormais mort. Empoisonné.
Un de plus....