« Lorsque il eût fini, il contempla sa création et Il vit que tout cela était bon » ainsi s’achève le livre de la Genèse. Mais ce n’est pas exactement la genèse de mon histoire. Mon histoire commence d’une toute autre manière, dans le noir et la terreur. Voici, je vais vous la conter.
Chapitre Premier : Adam et Eve
Adam et Eve. Les deux premiers humains. Destinés à la gloire éternelle dans le Jardin d’Eden. Mais ils sont faibles, comme leurs descendants. Ils ont fauté et Dieu les a condamnés à éprouver la souffrance, la dureté de la vie et le malheur. Ils sont les premiers êtres maudits. On dit que tous les hommes naissent souillés de ce péché originel, cette malédiction primaire qui ne peut nous être ôtée jusqu’au Jugement Dernier. Ainsi depuis ma naissance, cette marque indélébile était inscrite dans mon âme. Mes parents la portaient aussi et avant eux, mes grands parents. Tous, nous sommes condamnés. Tous nous devons souffrir. Pourquoi Dieu est-il si cruel ? Pourquoi infliger un tel traitement à sa créature la plus aboutie ? Personne ne pouvait l’expliquer à un enfant de cinq ans. Parce que personne ne le sait. Nous naissons, vivons et mourons tourmentés par cette question et c’est pour nous la pire des souffrances : ne pas comprendre notre Créateur. J’ai grandi dans la banlieue de Tokyo, dans une modeste famille éprise de tradition judéo-chrétienne. Mes premières années se résumaient alors à jouer avec les autres enfants après les cours de catéchisme, aller à l’église le dimanche. Rien d’extraordinaire. Rien qui doive être mentionné. Puis il y a eu la Pomme. Ah cette Pomme ! Quand je repense à son attrait, à la fascination morbide qu’éprouvait ma sœur pour elle, je continue de croire que dieu a placé l’homme devant le choix le plus difficile à réaliser à dessin. Qui choisirait entre ce qui le lie et ce qui lui ouvre les portes de la connaissance ?
La Pomme donc. A quoi ressemblait celle que nous avons mangée alors que nous n’étions que des gamins ? Rien moins que la curiosité. Nous avons écouté une conversation des adultes. Enfreint une règle. Tout est allé très vite. Lorsqu’ils ont remarqué qu’on les épiait, ils nous ont punis. Sévèrement. Trop sévèrement pour que je puisse l’oublier. Le fouet mordait nos chairs. Elle hurlait. Je hurlais aussi. Ils nous « éduquaient ». Quelle cruauté. Puis tout s’est arrêté. Le père s’est levé, il nous a regardés. Nous, sa progéniture. J’ai vu le dégoût dans ses yeux. La première malédiction. Aucun mot n’a franchi la barrière de ses lèvres. Il n’y avait que ce regard dégoûté et furieux. Son autorité absolue avait été bafouée par ses enfants. Et comme le fit son Père céleste, il nous chassa de son cœur, nous refusa à jamais son amour. Nous étions les nouveau Adam et Eve, condamnés parce que nous avions écouté sans le vouloir une conversation qui ne s’était résumée qu’un ces quelques mots :
« Ces enfants portent la marque de Yahvé. Ils doivent purifier le monde, tout comme notre Seigneur. »
Voilà comment on scelle le destin de deux gamins. Voilà comment on leur ôte tout avenir et les emprisonne dans un enfer permanent. Juste avec une phrase. Même incompréhensible, juste une petite phrase.
Si ma mère ne nous avait pas consolés ce jour-là j’ignore ce que nous aurions fait. Pleurant et gémissant des excuses qui n’intéressaient personne, nous nous sommes réfugiés dans es bras. La femme pardonne tout, y compris la trahison. Elle est sans aucun doute la forme véritable de dieu, celle qu’il avait lors des temps précédant notre arrivée. Mais à présent elle n’est plus rien sinon un morceau de côte séparé de son seigneur et maître : l’homme. Notre mère ne pouvait aller contre son maître. Elle ne pouvait que nous serrer contre elle, avec l’espoir que cela suffise à apaiser le traumatisme que nous venions de vivre. Dommage mère. Rien de ce que tu as pu faire n’a fonctionné. Car vois-tu..avant même de me serrer dans tes bras…tu avais déjà commencé à me détruire.
Chapitre Second : Caïn et Abel
Connaissez-vous l’histoire du premier meurtrier au monde ? Non ? C’est fort dommage, vous accusez un sérieux manque de culture biblique. Bien, laissez-moi vous l’apprendre, Caïn et Able étaient deux frères. Deux serviteurs de L’Eternel. Rivaux pour obtenir ses faveurs. Un paysan et un berger. Dieu préféra le Berger. Caïn, fou de jalousie tua son frère pour se venger et fut condamné à la damnation perpétuelle. Caïn fut le premier assassin, la première goutte dans la coupe des péchés humains. Mon premier bourreau. Il y a dix ans, au lycée, une jeune file s’est approchée de moi. La vedette. Tout le monde l’admirait, voulait lui ressembler. Et pourtant elle se dévoilait à moi, nue et fragile. Dire que j’étais heureux qu’elle me parle serait mentir. En réalité j’étais effondré. Cette vie qu’elle me racontait était si sombre, si torturée que je ne pouvais apprécier à sa juste valeur l’instant unique qui m’était offert. Elle pleurait et je voulais la soulager. Mais je ne savais ni ne pouvais le faire. En quelques instants tout fut fini. Je portais ma première croix et avançais lentement sur le chemin de Golgotha, le mont aux crânes. Comme lui. Jour après jour, ils sont venus, hordes d’âmes désespérées en quête de réconfort, jour après jour je leur offrais le même sourire désemparé mais qui se voulait rassurant. Ils me rongeaient, leurs malheurs me minaient. Pourtant je continuai. On me surnomma le Psy, les gens me cherchaient pour parler. J’étais content. Quelle erreur.
Mais j'étais incontestablement doué pour cela. Écouter les problèmes des autres, le hypnotiser pour les aider à les résoudre...tout cela faisait partie de moi. Je ne pouvais aller contre, d'ailleurs je ne le souhaitais pas. J'entamai donc des études de psychanalyse et de psychiatrie avec pour seul but de réussir à rendre le sourire à ces gens qui venaient me confier les rênes de leur vie partant à la dérive.
Un jour cependant, bien après que mes études soient achevées, j’eus ma première confrontation véritable avec la lie de ce monde. Un prisonnier, condamné à la peine de mort pour avoir massacré toute sa famille dans un acte de démence. Mon premier Caïn. Que dire à ceux que même Dieu renie ? Rien. Juste les accompagner dans leur lente descente vers l’Erèbe. C’est ainsi que s’accomplit ce qu’avait décidé mon père ce jour de mes cinq ans.
Les prisonniers se confiaient à moi, je les aidais à atteindre la mort sereinement.
Jusqu’à cet accident. Un de mes patients, pris de folie a décimé tous les prisonniers de sa cellule. Détraqué ou bien fou d’angoisse ? Je ne le saurai sans doute jamais. J’étais la dernière personne à l’avoir vu avant le massacre, le suspect idéal. On m’a arrêté, emprisonné sans véritable procès. Nul besoin de chercher des preuves lorsque les crimes concernent ceux dont la société ne veut plus. Ainsi ai-je découvert l’envers du tableau, ce côté sombre que je me contentais jusqu’ici de voir chez ces malheureux. J’étais l’un d’eux. Un condamné à mort. Un descendant de Caïn.
Oh Dieu, pourquoi infliges-tu pareille épreuve à ton serviteur ? Pour quoi me faire entrer dans la maison de la mort et de la douleur ? L’ombre de ta grandeur se détourne de moi et je reste figé, prisonnier des ténèbres à jamais. Voilà ce que je Lui répétais sans cesse, priant qu’il fasse jaillir la vérité. Mais l’Eternel a détourné Sa face de moi. Je suis resté dans les ténèbres. Dieu maudit qui punit tes enfants, je fais le serment d’apporter le fléau du mal à ta Création.
Chapitre Trois : Le martyr et le démon
Qui aurait cru que l’on me donne l’autorisation de conserver une bible en prison ? Peut être croyaient-ils pouvoir sauver mon âme comme ces Inquisiteurs du Moyen-âge…Auquel cas ils se trompaient lourdement. Le ressentiment faisait déjà son travail et rongeait mon esprit. Jour après jour, j’attendais l’ultime moment où mon âme s’en irait en libérant ses dernières étincelles, pressée d’atteindre ce firmament qui nous surplombe sans nous laisser le toucher. Rien n’arrivait. Les gardiens passaient et nous regardaient. Sans plus. Je les haïssais eux et leur indifférente liberté. Pourquoi certains d’entre nous devaient mourir pour assurer le confort des autres ? Pourquoi fallait-il toujours des boucs-émissaires ? Tout cela n’avait aucun sens. Rien de tout cela n’était juste et bon. C’était simplement…cruel.
Difficile de m’imaginer reniant ainsi l’œuvre de celui que j’avais vénéré et craint pendant des années sans en subir les conséquences n’est ce pas ? J’étais prêt à ce que le châtiment divin me terrasse pour récompenser mon insolence et mon ingratitude. Il n’en fut rien. Bien au contraire. Deux semaines avant mon exécution finale. Deux semaines d’attente morbide et de langueur insupportable. Nombre de mes compagnons d’infortune avaient déjà renoncé à l’espoir vain que leur sentence soit reportée ou annulée. Je les voyais errer comme de pauvres âmes en peine, ternes et épuisés de vivre. Mais moi je luttais encore. Parce qu’au plus profond de moi, subsistait ce dégoût mêlé d’incompréhension de l’œuvre de Dieu. Au fond de moi, je désirais toujours la réponse ultime, la logique absolue qui viendrait éclairer toute cette horrible mascarade dont nous étions les bouffons. Peut être est-ce que qui attira à moi la chance de quitter ce lieu. J’avais encore une raison de vivre. Encore une raison de croire que quelque chose arriverait. Je n’osais plus parler de miracle ou d’intervention divine. Non je pensais tout bêtement à cet implacable élan de vie qui transcende l’Homme confronté à la mort.
C’était la dernière nuit. Le lendemain je serais exécuté, électrocuté devant des dizaines, peut être même des centaines, de témoins. Mais je ne renonçais toujours pas. Ma rage de vivre et de comprendre était encore trop forte. Puis je l’entendis. L’explosion. Le bâtiment fut secoué, ébranlé. Tous hurlaient, je restai calme. Quand un gardien passa devant ma cellule, paniqué, je le saisis au traves des barreaux. Plongeai mon regard dans le sien. J’étais un psy après tout. Un de ceux qui investiguent l’esprit humain pour y décelé la source de notre mal-être. Je l’hypnotisai. Là, devant cette cellule, je le fis m’ouvrir une voie vers la liberté. J’ignore ce qu’il est devenu. En fait j’ignore ce que tous ces gens sont devenus. Mais cela n’a plus d’importance. Je courais, dérouté, paniqué et légèrement blessé. J’ignore combien de temps j’ai fui. Mais je sais que seule la fatigue extrême m’a forcé à cesser ma course. Je suis tombé devant une sorte de hutte, ivre d’épuisement. Envolé l’instinct de survie, je n’aspirais qu’à dormir pour l’éternité et laisser le monde poursuivre sa course sans moi, sans quelqu’un pour tenter de la comprendre.
Un homme m’a vu, il m’a recueilli et soigné. Nous n’avons pas échangé un mot. Il était vêtu comme les anciens chamans et possédait assurément leur force d’esprit. J’étais un psychiatre spécialisé dans l’hypnose. Deux domaines pas si étrangers. Ce doit être ce qui le convainquit de me parler.
« Les esprits disent que vous êtres prêt. Suivez-moi. »
« Prêt pour quoi ? »
« Votre véritable destinée »
Ce sont les seuls mots que nous avons échangé. Puis il m’a fait boire une mixture à base de pantes. Et je l’ai vu. Le Démon. Celui qui s’opposa le premier à dieu. Lucifer. Il ne parla pas réellement, je ne parlai pas non plus. Il me transmettait sa haine du Créateur, je la recevais. Lorsque l’expérience fut achevée, j’étais transformé. Le chamane savait que je devait embrasser les démons, tout comme il savait qu’il me fallait découvrir le secret des plantes pour voyager parmi les esprits. Ce qu’il ignorait, c’est que ce faisant, il avait peut être déchaîné le pire fléau que l’on puisse libérer. Un fléau qui ne se reconnaissait aucun maître. J’étais né de nouveau.
Chapitre Final : Welcome to Wonderland
- Spoiler:
Ce chapitre suit le point de ma victime, avant et après sa mort
Le vent souffle, il fait froid. Dans un Tokyo dévasté, un homme avance. Seul. Il est vêtu de noir. de son visage, je ne peux voir que ses yeux jaunes. Inhumains. Il me semble qu’il me regarde. Il disparaît dans la brume. Je l’oublie rapidement et poursuis ma route. Sans doute ai-je rêvé. Je n’ai pas rêvé. Juste été imprudent. Suffisamment imprudent pour me faire tuer. Il glisse dans la brume nocturne et s’approche. Je ne le vois pas encore. Puis je sens une aiguille s’enfoncer dans ma chair. Je tâte la peau, rien. Pas de sang. Encore mon imagination. Je continue de marcher. Puis ma vue se trouble. Mes oreilles bourdonnent. Que m’arrive-t-il ? Je perds l’équilibre, quelqu’un me rattrape. C’est lui. J’ignore ce qui m’arrive, je n’entends que sa voix au milieu de milliers d’autres sons.
- Ouvre tes yeux. Ouvre tes yeux et regarde. Regarde les péchés des hommes s’infiltrer en toi. C’est ton héritage. C’est qui tu es.
La douleur. Elle fuse. Je hurle. Personne ne viendra. Le magma de mon sang se déverse dans mes veines. Mon corps est en feu. Mon esprit tétanisé assiste à un spectacle horrifiant. Meurtres. Mensonges. Vols. Larmes. Cris. Séparations. Mon passé me revient en tête. Je crie :
- Maman !
Elle ne viendra pas. Elle est morte. Je le serai bientôt. Mais avant sa voix résonne à nouveau. Il me pose une question. Une seule.
- Où se trouve la prison ?
Je ne comprends pas. Pourtant j’avance. Lentement et péniblement. J’épuise mon corps et me rapproche inexorablement de la mort tandis que je le mène vers cet endroit. Ça y est, nous y sommes. Une porte se dresse devant lui. Il l’ouvre et dévoile un gigantesque parc d’attractions. Je suis aux prises avec la réalité pourtant je le vois très nettement ; il sourit. La banderole qui gémit sous les assauts du vent se dévoile à nos yeux et ma vue incertaine perçoit ces mots, les derniers que je verrai avant que la mort m’emporte :
« Bienvenue à Deadman Wonderland »
Un homme s’avance. différent de mon meurtrier. Plus...humain. Même si on peut en douter en voyant sa tenue. Un des employés de la prison. Peut être un haut responsable. Ils discutent.
- Ainsi vous cherchez à comprendre la raison de notre existence ? Vaste programme. Comment comptez-vous vous y prendre ?
- Les deadmens. J’ai entend dire que ces êtres possédaient des facultés uniques. Je peux vos les amener, m’assurer qu’ils soient utiles à votre…commerce. En échange je ne vous demanderai qu’une chose.
- Laquelle ?
- Fournissez-moi un prisonnier par mois pour mes expériences personnelles. Vivant et en bonne santé de préférence.
- Très bien monsieur Anderson. Vous semblez doté des capacités nécessaires pour être un gardien. Nous vous acceptions parmi nous. Faites vous plaisir et surtout, n’échouez pas à votre tâche…ou ce collier pourrait bien se poser sur votre cou également.
Un nouveau gardien dans la pire prison au monde. La mort m’emporte mais je ne peux m’empêcher de songer avec horreur à ce qu’il fera subir à tous ceux qui seront désormais sous sa responsabilité.